La Sncf promeut la nouvelle caverne (de la république de Platon)
La Sncf est la nouvelle résurrection
du solitaire. S’il le veut...
–
ou : solitaire discret versus solitaire
dépressif.
Les voyages en train sont des
épiphanies pour le solitaire. Du moins si la Sncf remplit ses offices, en
dehors des pannes et trains annulés au dernier moment. Le solitaire vit une
contrainte inextinguible de devoir, ne serait-ce qu’un instant, partager ses
temps et espace avec son prochain.
Ce prochain, terme éminent de la
détermination chrétienne de l’autre, telle une fantaisie des ténèbres, est en
réalité au mieux un étrange étranger.
Plus souvent un adversaire. Il est un concurrent à l'école et sur le marché du
travail. Nous avons pourtant été placés, en tant qu’humains, dans des corps,
comme on place le feu dans un brasero, pour pouvoir le transporter. Hélas, il y
a peu d’ajustement précis entre l’esprit et l’organe, et ce dernier l’est
encore moins d’avec la germination du premier.
Dans les trains, où le transport est
notre place fixe dans un autre corps matériel en marche, la discrétion est
devenue une denrée aussi rare que l'amabilité en zone de guerre. Des gens
hurlent leurs joies dérisoires ou racontent des vies de mycoses au téléphone et
à tout l’entourage. Cette pulsion primaire est une agression de notre moi discret –lui !- face à des moi
qui recherchent la conquête de leur espace, à défaut de pouvoir exister avec d’autres
buts que matériels et superficiels. Eux aussi sont des solitaires, mais des solitaires
dépressifs.
Réduit à l'état provisoire de
passagers, ceux-ci réduisent en creux la société qui est là confinée entre
boggies et caténaires dans un enfermement infernal. C'est une société recluse,
interdite de formalités et de respects minimaux. Du moins est-ce le constat du
présent où explose l’incivilité, le non-respect de l’autre que moi et la guerre de tous contre tous, et
ce y compris avec de toutes petites choses aux grandes conséquences.
Des imbéciles conversent entre eux,
casques non pas dans les oreilles, mais posés dessus pour continuer d’écouter
le bruit de fausses musiques perçues de l’extérieur tel un infect résidu d’extériorisation
d’un moi en flagrance de pures pulsions
sans désir, de pures pulsions sans une once de possibilité d’imaginaire autonome.
C’est que cet animal dépolitisé pense
avoir le devoir d’extérioriser ce qu’il pourrait silencieusement écouter. Il
signe l’impossibilité pour lui de se retrouver en lui et avec lui pour donner
sens à son existence, de penser, de réfléchir sa vie, de s’instituer comme être
imaginant. En réalité, il est moins humain que l’homme. C’est la nouvelle mode
des branchés de poser ses écouteurs
sur les oreilles. Et bien sûr, tout le monde profite du brouhaha de sons et des
inévitables conversations insipides obligées d’être volumineuses par voie de conséquence.
L’existence des individus est devenue tellement plate, enfermée dans le train-train du transport, d’un maigre travail salarié et d’une télévision entre une défécation, un hamburger ou un plat surgelé et un café, quelquefois une douche, qu’il leur faut démontrer exister par le son, le bruit, l’ameublement de leur vide spirituel et une conversation vide de sens.
L’existence des individus est devenue tellement plate, enfermée dans le train-train du transport, d’un maigre travail salarié et d’une télévision entre une défécation, un hamburger ou un plat surgelé et un café, quelquefois une douche, qu’il leur faut démontrer exister par le son, le bruit, l’ameublement de leur vide spirituel et une conversation vide de sens.
La minorité des solitaires discrets
doit se tenir coite. Sinon, toute conflictualité engendrée par une éventuelle remarque
peut très vite dégénérer en bruits supplémentaires, altercations se muant en agressions
physiques. Tel est le danger permanent de l’homme qui se transporte en train. Sourire
même peut s’apparenter à une agression. Porter un regard peut entraîner le même
effet.
Voilà démontrée ici le retour, par l’abus
d’insignifiances, de la régression primaire de notre période historique avancée. Encore
faut-il poser la question idoine : la joie du mouvement par transport des
corps est-elle justifiée ? Le mouvement en soi est-il justifié ?
Se déplacer relève la plupart du
temps de l’irrépressible contrainte. La modernité a éloigné les hommes des
lieux de ravitaillement, d’études et surtout de travail pour la plupart d’entre
nous. Dans les villages et les villes, l’absurdité semble avoir dominé dans l’accomplissement
du capitalisme jusqu'à son aberration dans un enfouissement jusque dans les
pores des hommes. Les gens se croisent, mortifient du temps dans des trains,
assis ou debout avec aucune possibilité d’orienter le but de son existence soudainement
contorsionnée entre le mouvement, l’absence réelle d’action, une comatique
proximité avec des étrangers et un oubli de soi, juste avant de finir épuisé
devant un flot de désinformations. Les individus se croisent. Ils ne se parlent
pas, ils se défient, ils hurlent. Ce sont des atomes qui percutent des atomes.
Les étincelles de la fission émergent inévitablement de l’atomisation des êtres
sociaux transformés en choses, ita est
des êtres réifiés. Des villageois croisent des urbains qui vont travailler dans
leurs villes quand ces derniers vont travailler dans les villages.
Dans cette quasi-torpeur du
transport, quotidien pour la plupart des travailleurs, le summum de la fatigue d’être soi dépend exclusivement de l’autre. Le
solitaire y perd son âme. Il lui est même rendu pénible de lire dans le chahut
permanent, sur des sièges salis par des chaussures, des sacs et des débris
humains divers. En revanche, et là réside peut-être son ultime salut, le solitaire discret constate de son
véritable progrès personnel, de sa possibilité exaucée de regagner une solitude
intime comme sauvegarde de sa sérénité après une cure de proximité avec ces
étranges étrangers. Il apprend dans cette jungle sociale qu’il est libre, qu’il
lit, médite, pense et donne son attention sur des pièces un peu moins
superficielles que ses semblables. En somme, le solitaire discret parvient à se
désaliéner en actes par une solitude authentique dans la discrétion, dans la
civilité malgré la barbarie douce de la dépression totale des autres si
représentatifs de ce qu’est aujourd’hui la société française.
Sans doute à demi-conscients de
constater le même sel du transport, l’individu se libère-t-il en se
transportant comme s’il était seul, casque sur la tête, pieds sur les sièges.
Et s’il voyage en compagnie, ce qui lui est rare, il en est si joyeux qu’il enjolive
sa pauvreté spirituelle en magnifiant la moindre signification qui le sort de
sa torpeur d’être un être-pour-la-mort.
Il raconte une soirée insipide, son dernier achat, son dernier shopping et ses dérisoires « bonnes affaires », le programme de
télé-réalité de la veille qui l’a bien éveillé sur son canapé entre deux
Lexomil pris sous soda infusé.
Parce que la société ne propose plus
guère de possibilité d’émancipation collective, de progression de soi avec soi,
les armes de chacun des deux solitaires aux états distincts deviennent
antagonistes pour rompre avec la solitude. Le solitaire discret des transports
ne blâme guère les zombies de la solitude dépressive. Il les embrasse du regard
mais ne tient guère à être touché par eux. Il s’en méfie dans leurs réactions
et cherche à chaque fois le compartiment qui pourrait être le moins
radicalement bordélique. Il est vrai que dans les transports, on a l’impression
qu’il n’existe qu’un livre d’un seul auteur : Musso ; et pour la
presse, les Voici et news gratuits. Nous avons là une
descente à pic de ce que fut la société encore dans les années 90, avec une
Education (ex-) nationale qui servait
le besoin de se construire a minima
soi-même et pour soi-même avec un auteur, un livre, une culture digne de ce nom
pour imaginer son autonomie et sa liberté.
Le solitaire discret qui a compris
ce mouvement du mouvement, qui a saisi que la société actuelle est une chienne
crevée dominée par des solitaires dépressifs, retient son souffle et tient les
rênes de son autonomie qu’il construit coûte que coûte dans l’ombre, hors les illusions. Plus
fortement encore qu’auparavant… et c’est un vrai travail laborieux mais
tellement salutaire de conserver sa liberté tel le germe de vie.
LSR
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