Natifs de 60 à 80, l'amour au bout du fusil


L’amour versatile au cœur de l’adversité.

-Premières réflexions sur la grande dépression des malheureux natifs des années 60 à 80.

 
Un de mes vieux professeurs, respecté et fort respectable, un jour de leçon très élevée sur la nature du marché (antique et moderne), son emprise sur les corps et les âmes, prit le soin de glisser en aparté une alarme nécessaire. Les techniques de communications, affirmait-il, sont si perfectionnées qu’à distance, les ordinateurs personnels peuvent être non seulement contrôlés mais, prochainement, nous assisterions à des procédures de perquisition à distance des téléphones mobiles et ordinateurs familiaux. Aujourd’hui, sous le feu d’un prochain vote du parlement, la perquisition à distance sera d’actualité : il eut raison de nous mettre en garde.

Cet état de l’esprit du temps, fondé sur une technique pensée pour contrôler et non plus améliorer en premier lieu les besoins des hommes, chacun peut en percevoir des évolutions dans ses relations aux autres. Dans les professions, dans les universités et écoles, dans les associations, syndicats et partis, il est fréquent de voir en l’autre un concurrent. Voire un adversaire à contrecarrer ou abattre. On « vit » l’autre comme une menace de l’amour de soi.

Génération '70, tout un monde très satisfait de lui-même
Parce qu’une technique de communication épie l’autre, chacun tend à son tour à épier l’autre dans un geste quotidien, et sans technique, se substituant de la sorte aux foudres de l’Etat. Il en est l’agent. Il en est l’agent autoproclamé sans lequel cet Etat ne tiendrait plus depuis longtemps. Cette atomisation humaine est telle que nous savons tous que la dénonciation, la violence de l’absence de dialogue et le calcul instrumental sont devenus les sources principales des conflits. Ainsi, par exemple, l’absence de dialogue se convertit en sourdes actions, en instrumentalisations régulières de la justice ou des personnels judiciaires. L’idéologie des droits de l’homme, le culte pour les auteurs cosmopolites prétendument désobéissants, l’individualisation économique et le sentiment de surpuissance des sujets malheureux (disons même : les plus malheureux d’entre eux) a développé depuis les années 1980 une puissance sans pareille du sujet sur l’objet, une revendication de sa monade comme monde total et auquel l’autre est puissance adverse et altière, une puissance contre mon moi. Cet agent de l’Etat est le plus servile qui soit que l’histoire nous ait donnée de voir. A l’aide d'une idéologie amoureuse consumériste, il aboutit à la pure revendication individuelle de son nombril pris comme nœud gordien de ses conceptions politiques : mon monde, ma musique, mon enfant, mon genre, mon apparence (look), mon travail, mon être, ma sexualité, mon dieu, mon automobile, ma télévision, mon livre, mon site, mon mari, ma femme… et surtout mon salaire, mon argent, mes vacances, mes fêtes (les « teufs »), mon teint doré aux rayons d’un néant non conscientisé… en attendant son ulcère dû aux contradictions intimes entre soi et son aliénation pérégrine en faveur d'un monde social et historique en guerre... et qui ne dit surtout pas son nom.

Guerre d’usure de soi, guerre contre l’autre, guerre contre le lien social, guerre au travail, guerre pour revendiquer des droits pétrifiés par le Léviathan nouveau… passons.

Nous n’avons plus là les catégories notionnelles pertinentes d’égoïsme, d’égotisme et d’individualisme libéral et conquérant pour comprendre la situation qui est à l’œuvre dans nos années 2010. Egoïsme, égotisme et individualisme caractérisent dorénavant des pans très réduits de l’être contemporain, bien que ces notions identifient assez correctement des comportements sociaux des individus des XVIIIe-XXe siècles. L’atomisation de l’être, sa déréliction sociale, personnelle et totale définissent mieux de nos jours le genre humain bourgeoisement urbain devenu.

L’être est réifié ; il qualifie son appartenance au monde comme s’il en était à la fois le dieu et la chose, désirant sa vie comme une res par essence, et par conséquent chosifiant l’autre et son propre lien au politique et au travail. L’être atomisé est si persuadé de son génie qu’il nourrit un cancer intérieur qui consiste à renvoyer l’autre, tous les autres, à la condition d’ennemi ; il assume la réification poussée à son comble. Nous trouvons, dès lors, de plus en plus autour de nous de ces personnages étranges qui se plaisent à affirmer qu’ils aiment détruire ceux qu’ils aiment ; ou : ceux qui les aiment.

L’amour (ou son mirage) est devenu le lieu exemplaire des tyrannies interindividuelles. En période d’atomisation des êtres, les passions deviennent envahissantes, excessives et nihilistes à la fois de soi et de l’altérité, mais encore de la pulsion de mort de nos sociétés réifiées. Et parce que l’être malheureux connaît un fort sentiment intérieur de découragement et d’envahissement de son vide intime, qu’il voudrait bien évidemment nier, pour lutter, pour exercer son salut au travers d’un faux-semblant naturalisé, il s’en prend à l’autre en le réduisant à peu, en l’utilisant, en exploitant sa force vive (travail, esprit, vitalité), en jouissant de lui et les avantages qu’il peut en tirer momentanément pour ensuite tenter de le détruire, dire du mal de lui, propager et instaurer un climat de frayeur pour qui, de son entourage, continuerait de conserver un lien avec lui. La fureur de ces petits führers de l’intime forme une légion nombreuse chez les natifs des années 60 à 80. On les trouve généralement dans les portions contentées des diplômés.

Fils et filles inaboutis d’une pensée confuse entre conformisme et anticonformisme, générée par l’épisode des années Vietnam et Algérie puis Mai-68, ils vaquent entre les aspirations de leur clan, de leur famille et classe sociale, d’un côté, et une réalité économique et politique différente, de l’autre. Leurs parents ont généralement bien vécu la pensée 68 comme libération des mœurs et des idées, quand les autres, en contre, ont quelque peu figé leur mode d’être pour assumer une contestation de l’ordre libéral nouveau, par esprit de conservatisme. La seule prouesse de François Hollande président est d’avoir su les faire sortir du bois où ils se cantonnaient depuis des années pour battre le pavé (ils surgissaient jusqu’alors de manière plus discrète, dans les urnes ou quelques processions annuelles).

Ces fils et filles espèrent et déboutonnent un programme politique insignifiant (généralement vaguement droit-de-l’hommiste, européen teinté de gauche verte), façonnent une actuelle citoyenneté construite sur les seules passions du temps. Pour eux, la revendication des droits est permanente en tous lieux et tous sujets sociétaux à défaut de droit et sujets sociaux, ce phénomène se fondant au nom de leur conception de l’amour. A rebours, la revendication du droit, de la recherche du juste platonicien n’est que l’apparence atrophiée de leur incapacité à vivre. Alors ils triment, rimaillent avec une haine contenue dans leur sagacité à nuire, dénoncer, fabriquer de la procédure et mettre en concurrence l’autre. Ils font la presse, l’entreprise, le parti, l’école et l’amour d’aujourd’hui.

Ces fils et filles nés dans les années 60 à 80 n’ont pas le feu intérieur ; ils sont nés sous l’idée d’un Etat régulateur et protecteur, d’un Etat qui contribuerait à peaufiner leur espérance individuel de réaliser leur seul calcul sur l’existence. Ils sont nés dans l’affirmation de l’Etat et pour le but de l’Etat ; l’état de nature leur semblait devenir le champ de leur seule autorité en son étant d’état de nature. Or, le Léviathan a modifié considérablement les formes de gouvernement des nations, des entreprises, des syndicats et partis. Plus généralement des hommes entre eux. Le fait nation en politique s’épuise et découvre une berge plus dense en population mondiale, plus criante des vérités du monde réifié dans les conflits guerriers qui n’ont pas disparu, entrouvrant la possibilité de la guerre dans le simili-Etat dans lequel les fils et filles natifs de 60 à 80 pensaient conserver le lait nourricier d’une sauvegarde naturelle. Ils sont eux-mêmes devenus l’Etat en état de guerroyer sans fin. Les générations précédentes, celles de leurs parents et aïeux, par exemple celle partant la fleur au fusil en 1914, intégraient l’Etat et en étaient des rouages, de simples particules. Ni plus, ni moins. La nouvelle génération, depuis les années 1960, en est l’agent principal, et ce y compris quand l’Etat n’est plus que l’ombre de lui-même, notamment en France. Car l’Etat contemporain ne conserve de sa nature que ses actes régaliens assurant la police intérieure, en réalité qui font régner la véritable puissance : celle de l’Allemagne, des USA, de la Chine, de la Russie et des grands consortiums économico-financiers qui tous recherchent l’intérêt particulier.

Dans les années 80, l’éclatement du bloc des pays de l’Est, la résurgence rapide d’une Europe fondée sur la destruction des particularités nationales, la crise économique et le chômage, comme les pandémies liées aux relations amoureuses, ont généré un état de l’esprit des plus catastrophiques pour les adultes d’âge moyen dans notre période française. Inciviques, ils sont aussi impolis et batailleurs au volant ou dans les transports publics. Pour eux, céder sa place n’est certes pas possible, ce serait s’abaisser. Pour eux, la fidélité ne peut l’être que dans l’instant, jamais ni pour le passé, ni pour le futur. Seule l’instantanéité séduit cette génération. Plus éduqués scolairement que les précédentes, cette génération l'est surtout dans les techniques, sachant de son point de vue que les Humanités sont dépréciées, parce qu’ils les considèrent comme non-alimentaires. Grands amoureux, les êtres malheureux pensent devoir être à la fois les maîtres de leur destin et les maîtres de l’altérité. Mais ils échouent, et sur l’un, et sur l’autre. Ils en deviennent vindicatifs avec l’humanité de l’homme sui generis. Pour eux, l’amitié n’est qu’un nuage ; cette inclination passe si elle n’est pas fondée dans ce lien essentiel à leurs yeux : la fête. Autrement dit, la politique amoureuse de nos êtres atomisés relève de que Muray pénétrait avec pertinence sous la notion d’homo festivus.

Nous les découvrons bien solitaires en réalité. Ils se trouvent sur facebook et autres rhapsodies monadiques dépressives. Ils se montrent à nu chaque fois de manière plus intime, pour narrer qui de ses aventures, qui de ses congés payés, qui de ses petits plats culinaires préférés… Nous les découvrons aussi extrêmement tatillons qu’ils sont déprimés quant à leur futur intériorisé dans un présent tout noué de vacuités. La vanité de leur volonté politique en fait une génération malheureuse, une génération qui enfante, sans y croire, des idées canoniques pauvres et un conformisme généralisé. Les natifs des années 60 à 80, surtout en mitan intellectuel, sont tout autant perdus que leurs coreligionnaires exclus durablement de l’employabilité. Ils se sont prolétarisés mais ne l’acceptent surtout pas. De fait, ils aiment comme ils vivent, ils votent comme ils aiment : en zappant…

Il n’y a plus qu’à espérer de la très différente génération native des années 90 à 2010 une régénération durable et construite contre celle de leurs parents si docile, contre la puissance à l’état d’Etat dans le cœur amoureux de leurs parents, fossoyeurs d’un monde libre et souverain. En attendant, comme le recommandait mon bon professeur évoqué plus haut, il nous faut raser les murs pour ne pas nous encombrer de nos contemporains si chagrins, si pointilleux dans le régime de la tyrannie de leur génie au quotidien et, surtout, si chargés d’esprit de sérieux, vétilles et instincts de procurature.

LSR

 

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