Quelques brèves remarques sur ce que n'est pas l'Europe


Tout le monde s’interroge, tout le monde veut dire son mot dès aujourd’hui sur le soi-disant « séisme » électoral.

Ce matin, pour ne prendre qu’un exemple, Laurent Bouvet, enseignant-chercheur bien connu pour son livre Le sens du peuple qui connut un bon succès plus qu’au-delà de l’estime, répond à des questions du journal marianne.fr., notamment l’une d’elles qui nous permettra quelques modestes remarques :
« Faut-il donc sacrifier l’Union européenne ?
Non, l’Union européenne doit survivre, on ne va pas en sortir comme ça, d’un coup. Une immense majorité d’Européens a quand même compris qu’il fallait construire un projet commun, que c’était essentiel. Mais l’Union européenne d’aujourd’hui est un vide politique. La construction européenne est guidée depuis trente ans par une politique libérale au sens profond du terme. Et ce qui est clair, c’est que cette politique non démocratique n’est plus approuvée par une majorité d’Européens. ».

Laurent Bouvet a en partie tort par un exercice sans doute naïf de l’entretien "à chaud" et rapide. Il est vrai que l’exercice est toujours difficile ; "faire simple", comme on le dit dans nos rédactions, engendre erreurs et confusions. Voire insignifiance. Pas toujours, heureusement !

Ø Il exprime ici un fatalisme politique surprenant pour un fin analyste : « l’Union européenne doit survivre (…) ». Qu’il faille (peut-être ?, mais pour quel but ?) « construire un projet commun » relève de l’évidence cosmopolite et philosophique depuis les travaux de l’abbé de Saint-Pierre (1658-1743). Penseur politique inspiré par une polysynodie qui substituerait par exemple les ministres du conseil du roi par des conseillers élus, elle lui vaudra l’exclusion de l’Académie française par Louis XV dès la fin de la Régence. Diplomate finaud, il sera l’un des négociateurs du traité d’Utrecht (1712-1713 ; deux traités en fait mettant fin à la guerre de succession d’Espagne). L’idée est d’influencer une unification durable des couronnes d’Europe en vue de réduire les risques de guerre. Pour ce faire, il fait paraître un projet qui a fortement marqué Rousseau et Kant à l’aube des années 1800(*) entre autres : son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713). C’est la guerre qui est au cœur du juridisme positif et politique qui emporte une vue internationale recherchant la paix entre les gouvernants. En ce sens, Laurent Bouvet, lorsqu’il ajoute que l’UE est un « vide politique », perçoit juste le dilemme qui court dans le débat.

Ø Si l’Europe veut garantir la paix, elle s’est d’abord construite sur les décombres de la Seconde guerre mondiale dans un désordre idéologique sans pareille, ayant recherchée une édification en cercle restreint (France, GB, Allemagne, Italie, Bénélux et Pays-Bas), en premier lieu dans des accords acier et charbon (la Communauté européenne du charbon et de l’acier –CECA- fondée par le traité de Paris de 1951 entré en vigueur en juillet 1953), puis une Communauté économique européenne… au seul fondement économique par un vide politique cohérent patent.

Ø Par la suite, avec le traité sur l’Union européenne dit traité de Maastricht entré en vigueur le 1er novembre 1993, premier élément de la future UE in stato, le critère politique fut pris compte tenu d'un hiatus, mais fondé en théorie sur des conceptions majoritairement nées en Allemagne, et matinées de quelques conceptions libérales de protections et défenses juridiques de la personne humaine aux origines britanniques.

Ø Par le rapport de force engendré par la fin du bloc de l’Est, la RFA versus RDA réunifiée en Allemagne a abouti en la formation d'une puissance large, une puissance économique soudée autour d’une rigueur consommée, une industrie tonique, une diplomatie avec les USA très fine et un lobbying enragé dans les institutions européennes. Pour finir, quand Bouvet exprime le « manque de démocratie » de l’UE, il est clair que celle-ci s’est bâtie sur le dos du peuple, dans une perspective strictement axée sur la chose (le bien matériel, "la marchandise" en langage économique) en circulation dans le marché, le capital et le capital financiarisé. Aussi est-il évident que l’histoire de l’unification européenne n’a jamais été un fruit politique autrement qu’économique et non sur la recherche de l’harmonie entre les peuples.
 
Pour l'heure, de nombreux européistes n'entendent pas entrer dans cette contextualisation notionnelle. Non, face à ce qu’ils considèrent comme un « mal » que l’état d’« europhobie » des votants, ils vantent désormais (ce midi sur France Inter et Europe 1) « plus d’Europe » (Modem-Udi), « mieux d’Europe » (EELV) et « plus d’Europe sociale » (Front de gauche) et, tous, en obtenant de l’Europe qu’elle « s’intéresse aux soucis des européens ». Gageons qu’avec ce vide cérébral, ce vide de propositions et cet oubli de l’origine réifiée de l’Europe, l’irénisme aura de très, très beaux jours de guerre devant lui dans les années à venir.

A suivre...

LSR

 
(*) I. Kant fait paraître en 1795 Vers la paix perpétuelle, cette forme de paix possible tant que « l’état de nature » règne entre les Etats marqués par les rivalités des princes.

 

 

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